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samedi 26 février 2011

Une certaine idée du Canada



Bébé Hulke a trois ans et demi.


Au Québec, Bébé Hulke ne va pas à l'école.


Lorsque je la vois asséner, sourcils froncés et poings sur les hanches, à l’enfant qui veut observer de plus près l’Héritier dans le porte-bébé, un tonitruant « Dégage de là, c’est ma maman ! Et c’est mon frère aussi ! », je suis bien forcée de constater que cela entraine un retentissement certain sur son apprentissage de la vie en collectivité.

Mais je me console bien vite non pas en songeant qu’elle échappe pour quelques mois aux rhinovirus, entérovirus, H1N1, streptocoques, méningocoques, bacilles de Koch, Yersinia et autres prions… Mais bien qu’en plus de compter, de reconnaître les lettres et de chanter de sa plus belle voix, elle allie un certain sens de l’observation à une mémoire étonnante pour son âge.

À trois ans, voyant la scène culte de King Kong, elle s’est exclamée : ah mais je reconnais, je suis déjà montée en haut. Je vous laisse imaginer notre ébahissement : tu te rappelles de New York ? Mais tu avais à peine dix-neuf mois quand on t’y a emmenée… Et la gamine blasée : oui, mais j’aime mieux Mourial !

Que la famille américaine ne se vexe pas : Fille Aînée a préféré New York, et les petits cousins qui y vivent. Quand Bébé Hulke parle de Montréal, elle pense à la Mauricie et aux amis de Saint-Mathieu du Parc qui nous ont hébergés l’été dernier, heureux propriétaires d’un ranch avec chevaux, poules, chats, chiens et chèvres… À deux ans et demi, les biquettes c’est beaucoup plus intéressant que des cousins, c’est bien connu.

D’où la déception à l’arrivée à Alma et ses cinquante centimètres de neige :

_ Quand est-ce qu’on prend l’avion pour aller au Canada ?
_ Mais on y est !
_ Ah non, ça c’est le Portugal !
_ …

Au temps pour le sens de l’observation.

mercredi 16 février 2011

Lettre à un bébé

Mon cher enfant,


Tu es encore bien caché au chaud et nous ne t’attendons pas avant juillet. Mais dans quelques jours ton papa et ta maman en sauront un peu plus sur toi. Et une fois déterminés tes accords de participe passé, commencera pour eux le cruel dilemme de tout parent, à savoir batailler sans relâche pour éliminer les uns après les autres des prénoms exotiques et excentriques,  pour trouver l’extraordinaire exceptionnel assorti à ta frimousse.

Loin de moi la plus infime intention d’intervenir dans leur choix. Je me suis toujours fait une règle de ne pas plier sous le commentaire désobligeant ou l’allitération malsonnante, je soutiens contre vents et marées les parents qui refusent de céder à la mode ou à la pression des ancêtres. Mais rien n’empêche de donner des idées… Et plutôt qu’une liste que tes parents pourraient rayer au fur et à mesure, laisse moi te raconter la  démonstration de gymnastique de ta cousine…


Fille Aînée adore l’école ; ça ne m’étonne pas, j’étais pareille à son âge. J’ajouterai même que je ne rougis pas d’avouer que ce sentiment  a persisté assez longtemps, au moins jusqu’au lycée.  Tiens c’est vrai, maintenant que j’y pense, c’est seulement arrivée en faculté de médecine que j’ai eu envie de me rouler par terre en pleurant jusqu’à la nausée, un peu comme les petits garçons dans la classe de Bébé Hulke à la rentrée.

Ce que Fille Aînée préfère, c’est l’éducation physique. Là, j’avoue, tous les petits enfants élevés en France auraient le droit de s’insurger : comment peut-on aimer le saut de haies et l’endurance sous la pluie, la natation en plein hiver, ou encore les compétitions de fin d’année scolaire ? Toi aussi, sauf réforme majeure de l’Éducation Nationale tu connaîtras le basket, le hand ou encore le volley dans un gymnase au toit en tôle sous la canicule. Ici, c’est plutôt hockey, soccer, ski, patin à glace et cette bonne vieille gymnastique.

A la fin de chaque période de quatre semaines soit huit séances, les parents sont invités à venir admirer le fruit des efforts de leur progéniture. Vendredi, l’Héritier au chaud dans le porte-bébé et Bébé Hulke loin devant (t’ai-je dit que désormais Bébé Hulke roulait courait très vite sur le chemin enneigé et sans râler ?), me voilà partie pour l’école, en direction du gymnase.

Monsieur Bernard, le professeur d’éducation physique, a commencé par présenter brièvement son travail. Sache qu’ici la règle est de vouvoyer les enseignants même quand on n’a que 6 ans et demi, et de les appeler par leur titre suivi de leur prénom, même si c’est une jeune fille sosie de Barbie adolescente. Le paradoxe est que le tutoiement est quasi de rigueur entre adultes qui ne se sont jamais vus et s’emploie aussi pour parler à son docteur.

Tu te doutes que la plus gracieuse, la plus légère, la plus enthousiaste était ta cousine, et chacun connaît mon intransigeante impartialité. Ce qui m’a plutôt interpellée, et qui accessoirement pourra servir à tes parents, ce sont plutôt les enfants eux-mêmes. Je te rassure tout de suite, ils ressemblent tout à fait aux petits enfants de France, à ceci près que la gamme de coloris est nettement moins étendue que dans une école publique valdoisienne. Ils étaient tous très mignons dans leur tenue de sport à savoir chandail, culotte et espadrilles. Ne va surtout pas t’imaginer des basques nains en slip et pull tricoté par mamie, en bon français de Paris, on aurait dit T-shirt, short et baskets.  Mais, c’est là le point qui nous intéresse, ils n’ont pas du tout les mêmes prénoms à la mode. Prêt ?

Jessy-Émile a dirigé l’échauffement. Tout le monde était très attentif, sauf Simon-Jacob et Paul-Sébastien qui se chamaillaient dans un coin. Ensuite, les enfants se sont mis par groupes. Fille Aînée était à l’atelier barre fixe avec Dylane-Albertine et Emy-Gabrielle. Il manquait Louis-Joseph dans leur groupe. À la trampolette, Sarah-Maude a réussi une parfaite roulade en l’air, alors que Zoé-Jade, qui doit être la timide de la classe, a refusé de sauter bien que Laurie-Emma ait tout fait pour l’encourager.

À l’atelier acrosport, Raphaël-Baptiste, Cédric-Luc et Louis-Mathieu ont réussi une pyramide très convenable, tandis qu’à la poutre, Èva-Mariel, Sarah-Florence et Amy-Camélia essayaient de faire la roue sans y parvenir tout à fait. J’allais oublier : Aleksi-Stanislas (il n’y a pas de faute de frappe) et Gabriel-René (tiens, le v'là celui-là) maîtrisent parfaitement le poirier maintenant…

Après toutes ces émotions, les parents ont applaudi pour féliciter les enfants, les enfants ont applaudi pour remercier les parents. Tout le monde est parti se rhabiller car c’était l’heure du dîner. Et j’avoue, je n’ai pu retenir un « on t’attend devant l’entrée, Vinciane-Adeline … »

Non mais !

Et si après ça tes parents t’appellent Raymond-Pikachu, ben faudra pas venir te plaindre…

Continue de bien pousser, je t’embrasse très fort.



Ta tante.



PS : un seul de ces prénoms composés est inventé. Lequel à ton avis ?

vendredi 11 février 2011

Mes enfants, ma bataille


Mes enfants ont un succès fou! Tout ce qui porte jupon aux alentours, voire chemise à carreaux en flanelle épaisse, s'extasie devant eux. Rien que de très normal, après tout, c'est de mes enfants qu'on parle. Ce qui l'est moins, à mon sens en tout cas, ce sont les termes choisis pour manifester l'admiration qu'on a pour eux.

La première fois c’était lors d’une soirée à thème jeux de société organisée par la tutrice de Sherpapa.
Quel beau bébé ! Il ne serait pas si basané qu’on le prendrait pour Gabriel-René…

Ma réaction première fut l’indignation. Comment, Céline Dion avait eu un autre enfant et personne ne m’avait prévenue… Tout en essayant de cacher la honte découlant de mon grave manquement à l’actualité people du Québec, j’ai réfléchi. Était-ce bien de mon Héritier qu’on parlait ? Celui qui est tellement blanc que s’il n’était pas le portrait craché de son papy breton j’aurais porté plainte contre la maternité pour échange de bébé ? J’ai fini par me rassurer en me disant que la confusion était probablement due à un trop grand contraste avec la neige.

La deuxième fois c’était au café branché du centre-ville. Sherpapa avait sa matinée, nous avions abandonné honteusement Fille Aînée à l’école et embarqué les deux autres pour un brunch gourmand. C’est donc entre la coupe de yaourt avec granola et bleuets et le bagel chèvre jambon fumé que  la coalition de mamies qui nous avait repérés dès notre entrée se dérida.
Oh les beaux yeux noirs ! Oh les beaux cheveux noirs !

Ces beaux compliments ne pouvaient s’adresser qu’à Bébé Hulke, le scalp de l’Héritier s’apparentant pour l’instant à un œuf qui vient de subir une greffe capillaire.

Je vous retranscris le dialogue, agrémenté de mamours et de risettes.
_ Vous êtes de quelle nationalité ?
_ Ben… Français ! Vous voulez dire qu’on a déjà pris l’accent d’ici et que ça ne s’entend même plus ?
_ Non, je veux dire, vos vraies origines…
_ …
_ Globalement celtes, madame. Un peu celtibères sur les bords c’est vrai, mais ça reste celte quand même. J’ai même conservé une culotte d’abduction de Bébé Hulke qui peut en témoigner…

La troisième fois c’était au supermarché du coin. Pas de bonjour, pas d’au revoir, pas de merci. Juste :
Oh ! Regarde les belles petites noires ! A ton avis, elles sont de quelle race ?

Notre exotisme trouverait-il son explication dans le fait que parmi les 88856 résidents permanents et travailleurs étrangers en résidence temporaire au Québec, seulement 111 vivent à Alma-Chicoutimi-Jonquière ? Je vous laisse juge.

En tous cas, je profite de ce message pour embrasser mon papa portugais, ma maman portugaise, mon beau-père breton, ma belle-mère bretonne, ma belle-belle-mère pays-de-la-loiredaise maine-et-loiredaise choletaise, mon beau-beau-père pied-noir, mon beau-grand-père guadeloupéen, ma belle-tante américaine, mon bel-oncle américain, ma belle-cousine américaine et son mari américain qu’on prend souvent pour un Portoricain ou un Marocain, mon oncle béarnais, mon oncle que je croyais picard, mais qui en fait ne l'est pas du tout, ma belle-sœur ch’ti, ma belle-sœur bretonne, mon beau-frère tunisien, mon beau-frère à la vague ascendance espagnole, mes cousins lusitano-franco-hispano-germano-canadiano-américano-paspicardo-béarnais et leurs conjoints de tous horizons, sans bien sûr oublier mon oncle montréalais.

Et comme chantait Bourvil

Salade de fruits, jolie, jolie
Tu plais à ta mère, tu plais à ton père
Salade de fruits, jolie, jolie
C’est toi le fruit de nos amours !