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mercredi 7 décembre 2011

Une tonne et des poussières


Mille quatre cents kilos. 

C’est le poids officiel de notre vie d’avant.

C’est le  manifeste de douane qui le dit. Le devis du déménageur disait plutôt treize mètres cubes mais je le soupçonne d’avoir un tantinet étiré le cubage. Pas grave, les équipes de déménageurs étaient enjouées et efficaces et tout est bien arrivé.

C’est une version diète. Avant de partir, nous avons légué nos électroménagers, machine à coudre, loupiotes de Noël, lisseurs et autres gadgets électriques strictement non-fonctionnels de ce côté-ci de l’Atlantique.  Le même sort a été réservé  à nos chaises, tables, étagères et rangements de chez le Suédois bleu et jaune et ainsi qu'à mon piano, pour ne conserver et n’importer que le strict minimum.

Nous disons donc treize mètres cubes d’indispensable, voyez plutôt :
1 scanner,
1 carton de partitions,
1 carton de linge de maison,
1 carton de DVD,
2 cartons de CD,
2 cartons de photos et d’albums,  
3 cartons de décorations de Noël,
3 cartons de matériel bébé,
4 meubles (armoire, table basse, étagère, tabouret de piano),
4 cartons de chaussures,
4 cartons de bibelots,
7 cartons de vaisselle,
11 cartons de vêtements,
11 cartons de bordel improbable bouclés en catastrophe à peine 5 heures avant de prendre l’avion l’an dernier,
12 cartons de matériel de couture,
16 cartons de jouets,
24 cartons de livres,
soit 107 colis.

De cela il ressort que :
nous n’avions vraiment pas beaucoup de meubles ;
la légende que colporte Sherpapa et qui veut que je possède trois mille paires de chaussures est totalement infondée ;
la légende que colporte Sherpapa et qui veut que je possède trop de vêtements est également totalement infondée ;
nos enfants sont trop gâtés
non, il n’y a pas trop de caisses de livres ;
il n’y a jamais trop de caisses de livres ;
un livre ça se relit, environ plein de fois, et ça se conserve amoureusement ;
une tablette électronique ne remplacera jamais un livre et le premier qui essaie de me soutenir le contraire s’expose à recevoir mes trois mille paires de souliers en pleine tête.


Ces treize mètres cubes primordiaux et irremplaçables sont tout de même sagement restés des mois loin de nous. Des mois ?

C’est à dire que leur parcours a été un tout petit peu moins épique que le notre. Alors que nous nous envolions vers le Lac Saint-Jean, ils prenaient le chemin d’un garde-meuble pour attendre gentiment que nous trouvions le temps et l’énergie de les faire importer par conteneur maritime. Leurs seules péripéties ont été neuf jours de traversée entre Anvers et Montréal.

Comme de juste, nous sommes allés faire étamper notre liste de biens ainsi que le manifeste à l’Édifice des Douanes du vieux Montréal, jurant nos grands dieux que nos effets ne comprenaient ni alcool ni tabac ni armes et surtout, surtout, surtout, aucune marchandise commerciale.

Au Centre Desjardins tout proche les décors de fête, les chants de Noël et le village d’attractions pour enfants étaient déjà installés, tellement semblables à ceux de l’an dernier que je n’ai pu me défendre d’un bref sanglot.

Parce que vraiment mes petites affaires m’avaient manqué.

Parce que c’est presque la fin des multiples tracasseries administratives qui ont rythmé ces onze mois et dix-neuf jours. Il reste la résidence permanente mais ceci est une autre histoire.

Parce qu’à force de prendre chaque jour comme il venait et un seul problème à la fois, j’ai l’impression d’avoir passé ces onze mois et dix-neuf jours dans une cinquième dimension, et il ne me reste plus qu’à les comptabiliser à l’aune des centimètres grandis par mes enfants.

Parce que quand même onze mois et dix-neuf jours de stress, de défi, d’adaptation, de bouleversements, de déménagement, d’immigration en somme, c’est fatigant et triste et merveilleux tout ensemble.

Alors il ne me reste plus qu’à dire merci.

Merci à ceux qui ont eu foi en nous sans nous connaître et qui ont mis en branle, accompagné, construit et abouti avec nous le long processus du permis d’exercice.

Merci à ceux nous ont soutenu indéfectiblement de toutes les façons possibles, que ce soit par leur compétence en matière de peinture et d’enduit ou de ramassage et transfert de courrier, parfois même par des ponctions d‘urgence de leur compte en banque, leurs voyages, leurs appels et leurs courriels, leurs macarons et leur caramel au beurre salé, bref à ceux qui nous aiment et qui en dépit ou à cause de cela nous ont laissé partir.

Merci à toutes ces belles personnes que nous avons rencontré ici et nous ont ouvert leur pays, leurs maisons, leurs bras, leurs cœurs.

Avant de faire pleurer tout le monde, je vais me dépêcher de conclure. Une page se tourne mais une autre commence car le chemin ne s’arrête pas là.

Voici que Fille Aînée nez au vent et les mirettes pleines de rêves, Bébé Hulke, la démarche enthousiaste et les talons belliqueux, l'Héritier, bien campé sur ses courtes petites jambes, la bedaine en avant, le regard en rase-motte mais devant, loin devant, ainsi que leurs heureux parents partent vers de nouvelles aventures. 


À suivre...