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mercredi 18 mai 2011

Rapport de stage (1)


Dans mon pire cauchemar, je rêve que je dois repasser mon bac.

Ils, obscures entités, monstrueux amalgames de contrôleur URSSAF, de prof d’allemand et d’examinateur au permis de conduire, viennent de constater après des vérifications kafkaïennes qu’il me manque environ un quart de dixième de point quelque part, et que pour garder le bénéfice de mon diplôme et de mes longues études universitaires, je dois refaire une année de terminale.

Je n’ai jamais prétendu que c’était un cauchemar réaliste ; dans le genre absurde il se pose là.

Parce qu’enfin nul ne peut ignorer que j’ai brillamment réussi mon bachot du moins je crois c’est tellement loin de toute façon c’est ce que je soutiendrai même sous la torture jusqu’à ce que tous mes enfants aient terminé leur scolarité et même après.

Bref, je me retrouve dans les salles de classe en préfabriqué d’un lycée de banlieue… avec une bande de boutonneux  décérébrés joyeux adolescents qui n’ont que la moitié de mon âge, à suivre des cours sur les fonctions trigonométriques, la diffraction de la lumière par une fente et la phylogénie des vertébrés… Et je ne parviens jamais au jour des résultats !

Ce qui est curieux, c’est que je ne rêve jamais que je dois réécrire ma thèse ou repasser le concours de première année de médecine. On est en droit de se demander ce que l’ami Sigmund en penserait. Rêverai-je un jour de mon stage à l’Unité de Médecine Familiale d’Alma ?

L'évaluation du candidat au permis d'exercice québécois en médecine de famille se fait sur trois critères ; le suivi de patients, l'urgence et l'hospitalisation, tout simplement parce que la plupart des omnipraticiens sont ubiquitaires et suivent leurs patients de la ville à l'hôpital et inversement.

Le suivi de patients c’est tout bêtement la consultation classique en cabinet. On m’a fait confiance, on m’a épargné la supervision directe. Pour les néophytes c’est l’observation du déroulement de la consultation à travers un miroir sans tain par un médecin superviseur. Je vous laisse imaginer l'ambiance.

Dans un premier temps, je me suis trouvée plutôt gâtée : au lieu du quart d’heure stakhanoviste du généraliste français moyen, j’avais droit à trente minutes par patient. Trente minutes pour retracer les antécédents, traitements et facteurs de risque, l’histoire de la maladie actuelle, examiner, en tirer des impressions diagnostiques et tous les diagnostics différentiels même les plus improbables (comme Gregory House et sa bande d’internes torturés, oui, oui), proposer une conduite à tenir comprenant l’élimination de ces diagnostics, écrire deux pages de notes, en référer au superviseur et conclure la consultation… Finalement trente minutes c’est plutôt court.

Diriez-vous que le Français est meilleur que le Québécois parce qu’il est capable de voir plus de patients à l’heure ? Diriez vous que le Québécois fait une consultation de meilleure qualité que le Français parce qu’il prend plus de temps ?

On pourrait nuancer par le fait qu’il existe des médecins québécois qui remplissent leur agenda tous les quarts d’heure, ainsi que des médecins français qui prennent le temps de remplir correctement un dossier, pas seulement par crainte des poursuites mais dans le souci d'une meilleure prise en charge.

Moi j’ai déjà choisi mon camp.

Mon camp n’a pas d’accent ni de drapeau.

Mon camp n’est pas celui de la médecine dévouée ou encore sacerdotale, n’en déplaise aux hypocrites qui usent et abusent de leurs RTT et de leurs congés enfant malade et qui voudraient que la médecine soit le seul secteur public à fonctionner 365 jours par an, 7 jours sur 7, 24h sur 24… ce qui est déjà le cas. Mon camp n’est pas celui de la médecine loisir ou intérêt secondaire du moins tant que Sherpapa n’aura pas gagné à l’Euromillion.

Mon camp n’est pas celui du rendement en terme d’offre de soins, non plus qu’en terme de recette et de bénéfice non commercial. Mon camp n’est pas non plus celui du désintéressement et du bénévolat. J’avoue sans rougir qu’en période de pré-burn-out, je tiens le coup en convertissant le montant de la consultation en unité-chaussure, je recommande d’ailleurs, c’est très efficace.

Mon camp est celui de la gratification intellectuelle purement égoïste. J’aime le travail bien fait. Ça tombe plutôt bien, je crois que mes patients aussi. J’aime aussi la facilité. Il me semble bien qu’il sera plus facile de rester dans mon camp de ce côté-ci de l’Atlantique. Excès d’enthousiasme peut-être ?

3 commentaires:

  1. Alors, et ce foutu rapport?
    Quid de l'urgence et de l'hospitalisation?
    Et comment sont les relations entre spécialistes et généralistes au bled? (chacun voit midi à sa porte, désolé!)

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  2. Une paire d'escarpins Jimmy Choo, ça fait quand même beaucoup d'unités chaussures ;-)
    Intéressant ce regard sur une autre façon de pratiquer la médecine. Sauf que House, j'achète pas, mais alors pas du tout. La vérité est trop vaste pour être embrassée d'un seul regard.

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  3. @ Rémi : ...

    @ Éric : tout à fait d'accord, je propose donc que le tarif conventionnel du généraliste secteur I soit indexé sur le stock des Galeries Lafayette.

    Dans la réalité, la démarche à la Dr House ne peut pas fonctionner, en tout cas ici : quand on sait par exemple que les délais hors contexte urgent dans la région sont de trois mois pour une tomodensitométrie, quatre mois pour une IRM, un an pour un électromyogramme ou une colonoscopie, on se calme vite au niveau des examens complémentaires en vue d'éliminer un diagnostic différentiel (ou pas différentiel d'ailleurs), et on en revient à la bonne vieille méthode française, à savoir traiter le plus évident d'abord.

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Et c'est tout! Enfin normalement...
Bisous!