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mercredi 16 novembre 2011

Rage de dent





Cher Roland,

Vous me manquez.

Infiniment.

Vous rappelez-vous, cette dernière fois où, étendue, vulnérable et frémissante, j’attendais que vous glissiez vos doigts dans ma…

How !

On se calme.

Roland, c’est mon ex.

Dentiste je veux dire. Et c’est de soins dentaires tout ce qu’il y a de plus déontologiques dont je vais parler.

Vous souvenez-vous de notre première fois, il y a déjà quelques années de cela ? Enceinte jusques aux dents de Bébé Hulke, affligée d’une rage de... dent, je sonnais éperdument à votre interphone.

Désespérée de ne pas entendre le bourdonnement libérateur de l’ouverture de votre porte, j’appelais affolée votre secrétariat. Alors votre assistante norvégienne  ou finlandaise ou islandaise ou je ne sais plus un cliché de fille en tous cas me faisait un petit signe moqueur par la fenêtre… de l’immeuble d’à côté.

Oui, bon. Que celui qui n’a jamais commis d’acte manqué me lance son exemplaire de Die Traumdeutung à la tête.

Me retenant de vous mordre au tout début de nos fréquentations, je vous ai laissé patiemment m’apprivoiser.

J’aimais votre disponibilité, votre patience, votre douceur, votre conscience professionnelle, votre silence concentré lorsque vous travailliez, votre aspect inoffensif malgré votre masque et votre tenue chirurgicale… et l’absence de publicité pour le blanchiment des dents dans votre salle d’attente.

J’avais même fini par trouver à votre Walkyrie suédoise ou danoise ou je ne sais plus qui avait une trop bonne mémoire et se fichait de moi à chaque rendez-vous quelque relent sympathique.

J’appréciais surtout votre extrême polyvalence, et bien qu’ayant eu recours à un éventail limité de vos soins, il me plaisait de savoir qu’en plus de maîtriser l’odontologie conservatrice, l’endodontie et la chirurgie, vous excelliez en parodontologie et implantologie.

Bref que non content de détartrer, obturer caries, dévitaliser dents, poser couronnes et arracher dents de sagesse, vous implantiez, greffiez os et gencives… Comme tout dentiste français ayant effectué six ans d’études, la Roland’touch en plus.  

Je voulais vous dire que cette fameuse dernière fois, il y a tout juste un an, où nous concluions cette belle relation par un détartrage d’adieu, est gravée dans ma mémoire pour toujours.

Moi.

Après ces quelques lignes outrées mais néanmoins sincères, passons aux choses sérieuses.

Approchez vous.

Plus près, encore plus près.

Voilà. Je vais critiquer le Québec. Vous avez bien lu, je vais critiquer.

Comment se fait-il qu’on exige des médecins, et notamment des médecins de famille, encore que les spécialistes ne soient pas en reste, des habiletés multiples, quand on tolère l’explosion d’un autre professionnel de santé en multiples robots unifonctionnels ?

Exemple :
J’ai une espèce de névralgie faciale bizarre qui débute brutalement jeudi soir, empire graduellement vendredi, tant par l’effet de son évolution naturelle que parce que mes collègues m’ont lâchement abandonnée j’assure le sans-rendez-vous toute la journée.

Trois kilos d’acétamin*phène et d’ibupr*fène plus tard et aussi un peu de prégab*aline, la vraie coupable, soit une quelconque molaire, se fait connaître samedi. Pas capable d’arriver aux urgences autrement que les pieds devant par peur de déranger patiemment, j’attends lundi avant d’appeler la dentiste, elle m’attend mercredi matin.

Après toutes les horreurs que j’avais entendu sur le système de santé en général et les soins dentaires en particulier, la surprise est plutôt bonne. D’ailleurs je n’ai presque plus mal, est-ce bien la peine ?

Je me remémore ma promesse d’adieu à Roland, l’abcès point n’attendras avant de consulter et j’y vais quand même. Une secrétaire, charmante, pomponnée et pas scandinave pour un sou, m’accueille et me fait remplir un questionnaire médical. Une assistante, charmante, soignée et pointilleuse, m’installe et vérifie mes réponses. La dentiste, charmante, sophistiquée et souriante, m’interroge et m’examine. Une technicienne de radiologie, charmante et masquée prend quelques clichés.

Avec toutes ces dames charmantes, j’ai un peu l’impression d’être dans un salon d’esthéticienne, peut-être parce qu’au lieu des affiches un peu vieillottes et défraîchies vantant les mérites du brossage tri-quotidien de la salle d’attente de Roland, il y a beaucoup, mais vraiment beaucoup d’affiches prônant les bienfaits du blanchiment dentaire.

Un examen et quelques radios plus tard, il s’avère que j’ai une pulpite. Et qu’il faut probablement un traitement intracanalaire car la dent a déjà été soignée. Et que seul le spécialiste de Québec (1h 40 de route) ou de Drummondville (1h45 de route) peut faire.

Mouais.

Je vais donc aller chez un spécialiste endontologiste pour me faire bêtement dévitaliser une dent. Je suis priée de me rassurer, la pose de la couronne, ça, la dentiste gère.

Je repose ma question : pourquoi exige-t-on des médecins, omnipraticiens ou spécialistes, des habiletés multiples, quand on tolère l’explosion d’un autre professionnel de santé en multiples robots unifonctionnels ?

Bête comme chou. Aucun frais dentaire n’est pris en charge par la Régie de l’Assurance Maladie du Québec sauf pour les enfants de moins de 10 ans. Ça fait un très beau gâteau à croquer !