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mercredi 7 décembre 2011

Une tonne et des poussières


Mille quatre cents kilos. 

C’est le poids officiel de notre vie d’avant.

C’est le  manifeste de douane qui le dit. Le devis du déménageur disait plutôt treize mètres cubes mais je le soupçonne d’avoir un tantinet étiré le cubage. Pas grave, les équipes de déménageurs étaient enjouées et efficaces et tout est bien arrivé.

C’est une version diète. Avant de partir, nous avons légué nos électroménagers, machine à coudre, loupiotes de Noël, lisseurs et autres gadgets électriques strictement non-fonctionnels de ce côté-ci de l’Atlantique.  Le même sort a été réservé  à nos chaises, tables, étagères et rangements de chez le Suédois bleu et jaune et ainsi qu'à mon piano, pour ne conserver et n’importer que le strict minimum.

Nous disons donc treize mètres cubes d’indispensable, voyez plutôt :
1 scanner,
1 carton de partitions,
1 carton de linge de maison,
1 carton de DVD,
2 cartons de CD,
2 cartons de photos et d’albums,  
3 cartons de décorations de Noël,
3 cartons de matériel bébé,
4 meubles (armoire, table basse, étagère, tabouret de piano),
4 cartons de chaussures,
4 cartons de bibelots,
7 cartons de vaisselle,
11 cartons de vêtements,
11 cartons de bordel improbable bouclés en catastrophe à peine 5 heures avant de prendre l’avion l’an dernier,
12 cartons de matériel de couture,
16 cartons de jouets,
24 cartons de livres,
soit 107 colis.

De cela il ressort que :
nous n’avions vraiment pas beaucoup de meubles ;
la légende que colporte Sherpapa et qui veut que je possède trois mille paires de chaussures est totalement infondée ;
la légende que colporte Sherpapa et qui veut que je possède trop de vêtements est également totalement infondée ;
nos enfants sont trop gâtés
non, il n’y a pas trop de caisses de livres ;
il n’y a jamais trop de caisses de livres ;
un livre ça se relit, environ plein de fois, et ça se conserve amoureusement ;
une tablette électronique ne remplacera jamais un livre et le premier qui essaie de me soutenir le contraire s’expose à recevoir mes trois mille paires de souliers en pleine tête.


Ces treize mètres cubes primordiaux et irremplaçables sont tout de même sagement restés des mois loin de nous. Des mois ?

C’est à dire que leur parcours a été un tout petit peu moins épique que le notre. Alors que nous nous envolions vers le Lac Saint-Jean, ils prenaient le chemin d’un garde-meuble pour attendre gentiment que nous trouvions le temps et l’énergie de les faire importer par conteneur maritime. Leurs seules péripéties ont été neuf jours de traversée entre Anvers et Montréal.

Comme de juste, nous sommes allés faire étamper notre liste de biens ainsi que le manifeste à l’Édifice des Douanes du vieux Montréal, jurant nos grands dieux que nos effets ne comprenaient ni alcool ni tabac ni armes et surtout, surtout, surtout, aucune marchandise commerciale.

Au Centre Desjardins tout proche les décors de fête, les chants de Noël et le village d’attractions pour enfants étaient déjà installés, tellement semblables à ceux de l’an dernier que je n’ai pu me défendre d’un bref sanglot.

Parce que vraiment mes petites affaires m’avaient manqué.

Parce que c’est presque la fin des multiples tracasseries administratives qui ont rythmé ces onze mois et dix-neuf jours. Il reste la résidence permanente mais ceci est une autre histoire.

Parce qu’à force de prendre chaque jour comme il venait et un seul problème à la fois, j’ai l’impression d’avoir passé ces onze mois et dix-neuf jours dans une cinquième dimension, et il ne me reste plus qu’à les comptabiliser à l’aune des centimètres grandis par mes enfants.

Parce que quand même onze mois et dix-neuf jours de stress, de défi, d’adaptation, de bouleversements, de déménagement, d’immigration en somme, c’est fatigant et triste et merveilleux tout ensemble.

Alors il ne me reste plus qu’à dire merci.

Merci à ceux qui ont eu foi en nous sans nous connaître et qui ont mis en branle, accompagné, construit et abouti avec nous le long processus du permis d’exercice.

Merci à ceux nous ont soutenu indéfectiblement de toutes les façons possibles, que ce soit par leur compétence en matière de peinture et d’enduit ou de ramassage et transfert de courrier, parfois même par des ponctions d‘urgence de leur compte en banque, leurs voyages, leurs appels et leurs courriels, leurs macarons et leur caramel au beurre salé, bref à ceux qui nous aiment et qui en dépit ou à cause de cela nous ont laissé partir.

Merci à toutes ces belles personnes que nous avons rencontré ici et nous ont ouvert leur pays, leurs maisons, leurs bras, leurs cœurs.

Avant de faire pleurer tout le monde, je vais me dépêcher de conclure. Une page se tourne mais une autre commence car le chemin ne s’arrête pas là.

Voici que Fille Aînée nez au vent et les mirettes pleines de rêves, Bébé Hulke, la démarche enthousiaste et les talons belliqueux, l'Héritier, bien campé sur ses courtes petites jambes, la bedaine en avant, le regard en rase-motte mais devant, loin devant, ainsi que leurs heureux parents partent vers de nouvelles aventures. 


À suivre...


mercredi 16 novembre 2011

Rage de dent





Cher Roland,

Vous me manquez.

Infiniment.

Vous rappelez-vous, cette dernière fois où, étendue, vulnérable et frémissante, j’attendais que vous glissiez vos doigts dans ma…

How !

On se calme.

Roland, c’est mon ex.

Dentiste je veux dire. Et c’est de soins dentaires tout ce qu’il y a de plus déontologiques dont je vais parler.

Vous souvenez-vous de notre première fois, il y a déjà quelques années de cela ? Enceinte jusques aux dents de Bébé Hulke, affligée d’une rage de... dent, je sonnais éperdument à votre interphone.

Désespérée de ne pas entendre le bourdonnement libérateur de l’ouverture de votre porte, j’appelais affolée votre secrétariat. Alors votre assistante norvégienne  ou finlandaise ou islandaise ou je ne sais plus un cliché de fille en tous cas me faisait un petit signe moqueur par la fenêtre… de l’immeuble d’à côté.

Oui, bon. Que celui qui n’a jamais commis d’acte manqué me lance son exemplaire de Die Traumdeutung à la tête.

Me retenant de vous mordre au tout début de nos fréquentations, je vous ai laissé patiemment m’apprivoiser.

J’aimais votre disponibilité, votre patience, votre douceur, votre conscience professionnelle, votre silence concentré lorsque vous travailliez, votre aspect inoffensif malgré votre masque et votre tenue chirurgicale… et l’absence de publicité pour le blanchiment des dents dans votre salle d’attente.

J’avais même fini par trouver à votre Walkyrie suédoise ou danoise ou je ne sais plus qui avait une trop bonne mémoire et se fichait de moi à chaque rendez-vous quelque relent sympathique.

J’appréciais surtout votre extrême polyvalence, et bien qu’ayant eu recours à un éventail limité de vos soins, il me plaisait de savoir qu’en plus de maîtriser l’odontologie conservatrice, l’endodontie et la chirurgie, vous excelliez en parodontologie et implantologie.

Bref que non content de détartrer, obturer caries, dévitaliser dents, poser couronnes et arracher dents de sagesse, vous implantiez, greffiez os et gencives… Comme tout dentiste français ayant effectué six ans d’études, la Roland’touch en plus.  

Je voulais vous dire que cette fameuse dernière fois, il y a tout juste un an, où nous concluions cette belle relation par un détartrage d’adieu, est gravée dans ma mémoire pour toujours.

Moi.

Après ces quelques lignes outrées mais néanmoins sincères, passons aux choses sérieuses.

Approchez vous.

Plus près, encore plus près.

Voilà. Je vais critiquer le Québec. Vous avez bien lu, je vais critiquer.

Comment se fait-il qu’on exige des médecins, et notamment des médecins de famille, encore que les spécialistes ne soient pas en reste, des habiletés multiples, quand on tolère l’explosion d’un autre professionnel de santé en multiples robots unifonctionnels ?

Exemple :
J’ai une espèce de névralgie faciale bizarre qui débute brutalement jeudi soir, empire graduellement vendredi, tant par l’effet de son évolution naturelle que parce que mes collègues m’ont lâchement abandonnée j’assure le sans-rendez-vous toute la journée.

Trois kilos d’acétamin*phène et d’ibupr*fène plus tard et aussi un peu de prégab*aline, la vraie coupable, soit une quelconque molaire, se fait connaître samedi. Pas capable d’arriver aux urgences autrement que les pieds devant par peur de déranger patiemment, j’attends lundi avant d’appeler la dentiste, elle m’attend mercredi matin.

Après toutes les horreurs que j’avais entendu sur le système de santé en général et les soins dentaires en particulier, la surprise est plutôt bonne. D’ailleurs je n’ai presque plus mal, est-ce bien la peine ?

Je me remémore ma promesse d’adieu à Roland, l’abcès point n’attendras avant de consulter et j’y vais quand même. Une secrétaire, charmante, pomponnée et pas scandinave pour un sou, m’accueille et me fait remplir un questionnaire médical. Une assistante, charmante, soignée et pointilleuse, m’installe et vérifie mes réponses. La dentiste, charmante, sophistiquée et souriante, m’interroge et m’examine. Une technicienne de radiologie, charmante et masquée prend quelques clichés.

Avec toutes ces dames charmantes, j’ai un peu l’impression d’être dans un salon d’esthéticienne, peut-être parce qu’au lieu des affiches un peu vieillottes et défraîchies vantant les mérites du brossage tri-quotidien de la salle d’attente de Roland, il y a beaucoup, mais vraiment beaucoup d’affiches prônant les bienfaits du blanchiment dentaire.

Un examen et quelques radios plus tard, il s’avère que j’ai une pulpite. Et qu’il faut probablement un traitement intracanalaire car la dent a déjà été soignée. Et que seul le spécialiste de Québec (1h 40 de route) ou de Drummondville (1h45 de route) peut faire.

Mouais.

Je vais donc aller chez un spécialiste endontologiste pour me faire bêtement dévitaliser une dent. Je suis priée de me rassurer, la pose de la couronne, ça, la dentiste gère.

Je repose ma question : pourquoi exige-t-on des médecins, omnipraticiens ou spécialistes, des habiletés multiples, quand on tolère l’explosion d’un autre professionnel de santé en multiples robots unifonctionnels ?

Bête comme chou. Aucun frais dentaire n’est pris en charge par la Régie de l’Assurance Maladie du Québec sauf pour les enfants de moins de 10 ans. Ça fait un très beau gâteau à croquer !

samedi 10 septembre 2011

Chroniques d'un festival_ Épisode 2 : les Journées Mondiales du Cow-boy



Du jour au lendemain, Saint-Tite a changé de visage : cette petite bourgade tranquille est devenue le lieu de pèlerinage de milliers de personnes. Tous les marchands du Temple ont également fait le voyage. Il y a les prévisibles vendeurs de bottes, de ceinturons, de chemises, de chapeaux et de souvenirs divers, les non moins attendues gargotes de toile, les folkloriques apothicaires inventeurs de quelque remède magique... mais aussi les stands improbables de literie, de lingerie, de quincaillerie ou de quelconque marchandise monnayable fabriquée en Chine de préférence.

Ici pas d'homme en blanc dans sa voiture blindée. N'empêche que tous les pénitents, à défaut de bure et de coquille, ont revêtu les insignes de leur foi : bottés, chapeautés, chemise-à-carreautés, les fidèles sont venus témoigner avec ferveur de leur dévotion. À quel dieu? Je serais bien en peine de vous le dire.

Certains, et ils sont loin d'être rares, ont choisi d'adorer Bièrus, mais si, vous savez bien, le cousin de Bacchus, celui a qui l'on fait des libations à base de Molson ou de Coors. Ces disciples-là, en guise de scapulaire, portent une ceinture très spéciale, directement inspirée de la ceinture porte-grenade, sauf qu'elle permet de porter sans les mains une bonne demi-douzaine de canettes. 

Alors avant de se voir frapper d'anathème pour hérésie et impiété par les bons prophètes et missionnaires locaux, le troupeau s'est dépêché de se convertir. Tous insignes religieux dehors (enfin, juste la chemise et le chapeau, les bottes dès la première année, ça aurait fait vraiment trop ex-apichorète), il s'en est allé rejoindre les plus zélés disciples dans ce qu'on peut appeler la chapelle Sixtine du Festival Western, à savoir le salon des Présidents des Grandes Estrades Molson Ex, pour communier dans la célébration du rodéo.

Ouep. 

Telle que vous me lisez, j'ai assisté à un rodéo aujourd'hui. 

Pas de révélation, encore moins d'épiphanie. Je ne vais pas me mettre à chanter les louanges des adeptes de la monte du cheval sauvage ou du taureau. C'est spectaculaire à souhait, surtout lorsqu'on connaît le nom exact des divers traumatismes et séquelles envisageables. C'est aussi un vrai choc culturel pour nous autres Européens (je parle des Européens normaux et bien sous tous rapports qui comme moi n'ont jamais regardé une diffusion d'Intervilles). 

Toutefois, sur le point de m'abandonner entièrement à cette nouvelle religion, un doute m'a assailli : pourquoi parlait-on de sport extrême quand c'est le cheval qui avait une patte cassée?

Finalement je crois que je vais plutôt me convertir au culte de la danse country.



vendredi 9 septembre 2011

Chroniques d'un festival_ Épisode 1 : Les Envahisseurs

 

Les cow-boys : ces êtres étranges venus de l'Ouest lointain.

Leur destination : Saint-Tite, petit village de 3839 âmes.

Leur but : en faire leur univers du 9 au 18 septembre 2011, pour la quarante-quatrième année consécutive.

Je les ai vus.

Pour moi tout a commencé par une belle journée ensoleillée du mois d'août lorsque mon collègue s'est mis à arborer des bottes Boulet au bout carré. Les couloirs habituellement feutrés du Centre Local de Services Communautaires ont aussitôt résonné du clapeticlap caractéristique de la trépointe Goodyear et du cambrion d'acier de ses semelles.

Cela a commencé par des ballots de paille, des tipis, des fausses barrières de bois et des roues de chariot qui sont venus orner les jardinets ordinairement entretenus et tondus au rasoir, et ce dès la fin du mois d'août.

Cela a commencé par des mannequins costumés avec la panoplie complète de bottes, chemise et chapeau western qu'on a installé sur les chaises berçantes des galeries des jolies petites maisons à la façade de bois.

Cela a commencé par des cavaliers en pleine rue la semaine dernière.

Cela a commencé par l'arrivée de milliers d'autos, de motorisées, de roulottes venues des quatre points cardinaux se stationner dans les champs environnants et le moindre pied carré disponible, y compris les pelouses mêmes du CLSC, depuis les premiers jours de septembre.

L'an dernier ils étaient 600 000.

Maintenant je sais qu'ils sont là, qu'ils ont pris forme humaine et qu'il me faut convaincre un monde incrédule que le cauchemar le Festival Western a commencé.

Nul n'est à l'abri, je crois que même Sherpapa est contaminé, je l'ai vu essayer des bottes. Et je le soupçonne fortement de s'être acheté une chemise à l'heure du déjeuner.

J'ai peur! 

À suivre...

lundi 15 août 2011

Faire-part de re-naissance

Copyright Disney


Nous y voilà.

Après 367 jours de congé pseudo-sabbatique décomposés de la façon suivante:
52 jours de congé pré-partum,
30 heures d'accouchement cauchemardesque,
129 jours de congé post-partum,
59 jours de femmofoyerisme officiel,
91 jours de stage d'adaptation,
15 jours d'attente de la réception de la lettre libératrice d'admission au permis d'exercice du Collège des Médecins,
20 jours de formalités d'inscription au Tableau de l'Ordre, à la Régie d'Assurance Maladie du Québec en tant que nouveau facturant, à une agence de facturation et de recherche de gardienne d'enfant,

après 367 jours intenses, tant en termes de démarches administratives hystériques, d'évènements familiaux heureux, ou pas, de déménagement et bagages bâclés, d'immigration ubuesque, d'adieux et d'au-revoirs, qu'en termes d'assimilation d'une nouvelle culture et d'un Belle-Province-way-of-life, et de fabuleuses nouvelles rencontres,

j'ai la très grande joie de vous faire part de mon installation en tant que médecin de famille ce jour à Saint-Tite, Québec, Canada.

Avec les bottes et le chapeau s'il vous plaît.

Hiiiiiiiiiii Haaaaaa!!!

dimanche 14 août 2011

Rapport de stage (3)



Le troisième axe d’évaluation de mon stage était l’hospitalisation. On me demandait de m'occuper d'une petite dizaine de patients dont je devais référer le soir ou en cas de problème à mon superviseur. Je dois préciser que comme pour un résident, toutes mes prescriptions devaient être contresignées.

Le plus souvent, les médecins de famille québécois suivent leurs patients à l'hôpital. Les médecins sont réunis en clinique, terme qui au Québec ne désigne pas un établissement de soins mais un cabinet de groupe, ou encore en groupement de médecine familiale. Ils prennent la garde à tour de rôle pour visiter les clients pris en charge par leur groupe. Ils peuvent également être désignés sur une liste pour prendre en charge un patient dit orphelin, soit parce qu'il n'a pas de médecin de famille, soit parce que son médecin ne fait plus d'hospitalisation.

La garde se prend le lundi 8h jusqu'au... lundi suivant 8h. Pendant cette période, le médecin fait sa tournée quotidiennement et est d'astreinte téléphonique en cas d'urgence ou d'admission d'un nouveau patient. Habiter à 25 mn de route de l'hôpital en cas d'appel de l'infirmière justement peut s'avérer particulièrement terrifiant déplaisant.

La tournée reflète la clientèle du médecin et ressemble à une promenade éclectique d'étage en étage : de la prise en charge des nouveau-nés des mères suivies pendant leur grossesse, au suivi conjoint avec les psychiatres des patients de psychiatrie ou avec les chirurgiens en chirurgie ou encore avec les pédiatres en pédiatrie, en passant bien sûr par la prise en charge des patients de médecine dans toutes les spécialités.

Moi qui n'ai pas spécialement raffolé de mes stages de poussage de chariot médecine lors de mon internat et appréhendais un peu l'exercice, je fus étonnamment et heureusement surprise.

Très logiquement, vivre à l'hôpital une semaine de temps en temps, même 24h sur 24 en cas de tournée chargée et de patients instables, est beaucoup moins contraignant à mon sens que voir tous les jours pendant 6 mois les mêmes 25 mamies abandonnées aux urgences pour cause de chute et d'altération de l'état général. Je caricature mais pas tant que ça.

L'idée de suivre le patient dans sa globalité _grandiloquente expression dont aiment à se gargariser tous les ordres de médecins de la planète_ ou plus prosaïquement avoir un accès raisonnablement aisé au déroulement de son hospitalisation _il est beaucoup plus facile de communiquer avec le collègue de son groupe qu'avec la nébuleuse organisation secrète des médecins hospitaliers_ est plutôt plaisante.

Reste qu'on a beau être des super-docteurs de famille et super-bons en tout, on ne s'improvise pas super-méga-bon en quelque chose de particulier. On est toujours obligé d'avoir recours au spécialiste.

Or, dans un contexte de pénurie majeure des spécialistes en région, les courageux qui restent ont à mon sens un rôle de prestataire d'avis et non de suivi. J'ai entendu dire que l'oncologue voyait parfois 60 patients par jour, ce qui, sans vouloir diminuer sa performance, nécessite que nous, les médecins de famille en l’occurrence, ayons considérablement pré-mâché le travail.

Vous l'aurez compris, pour que l'ensemble fonctionne, le maître-mot est la communication, encore faut-il savoir à qui l'on parle.

Afin d'illustrer mon propos, voici un extrait de ma première supervision:

_ J’ai un patient qui a besoin d’une biopsie de moelle osseuse, je demande à l’hématologue?
_ Non, notre hématologue ne fait que de l’oncologie.
_ Ben justement, on suspecte soit un plasmocytome du sacrum, soit un myélome!
_ Appelle plutôt notre pneumologue, c’est un peu notre interniste.
_ Oui mais après, il lui faudra de la radiothérapie?
_ C’est l’oncologue qui s’en occupera.
_ Celui qui ne veut pas faire les biopsies de moelle?
_ Non, un autre à Chicoutimi, qui ne fait que de la radiothérapie.
_ OK. J’ai un autre patient qui aurait besoin d’une écho cœur. Je suppose que je demande au cardiologue?
_ En fait notre cardiologue ne fait pas les échos. Il est rythmologue et s’occupe des soins intensifs.
_ Je croyais que c’était un médecin de famille et l’anesthésiste qui faisaient les soins intensifs?
_ Oui aussi. Pour ton patient, si tu veux une écho cœur transthoracique, appelle l’interniste.
_ Le pneumologue fait aussi les échos cœur?
_ Non, c’est un interniste qui vient de Chicoutimi deux jeudis par mois. Par contre si après il te faut une écho-cœur transoesophagienne, il faudra demander au radiologue.
_ À Alma?
_ Non, à Chicoutimi!
_ OK. J’ai un autre patient qui a besoin d’une ponction d’ascite. Je peux la faire?
_ Ne t’embête pas, ici c’est le chirurgien digestif qui fait les ponctions au bloc.
_ On a un problème, le chirurgien a fait la ponction, il y a déjà 6 litres d’évacués et personne n’a pensé à prescrire une compensation …
_ Appelle notre interniste.
_ Celui de Chicoutimi? Mais on n’est pas jeudi!
_ Je voulais dire notre pneumologue.
_ OK. Juste pour être sûre… J’ai une dame qui doit être opérée par notre orthopédiste d’une fracture de hanche sur métastase d’un mélanome suivi par notre hématologue et qui a besoin d’un avis pneumo avant l’anesthésie…
_ Tu peux demander à notre pneumologue. Il fait aussi la pneumo!

En fait, une fois que j’ai compris la différence entre déterminant et adjectif possessif, tout s’est très bien passé. En plus d’être très polyvalent, notre pneumologue était également très charmant.

En revanche, lorsque j’ai eu à prendre en charge un patient greffé rénal pour une ostéite mycosique du pied et découverte de diabète, en attente de chirurgie pour un cancer de la prostate, il m’a fallu une certaine dose d'entregent et de sérénité pour composer avec les néphrologues de Québec, l’orthopédiste d’Alma, le microbiologiste de Chicoutimi, l’urologue de Roberval… et la mauvaise humeur du patient. Forcément, tous ces spécialistes, ça prend beaucoup de temps!

J’aurais peut-être dû demander au pneumologue…

jeudi 11 août 2011

Rapport de stage (2)


Les infirmières en Amérique du Nord s’habillent comme elles veulent. Comprenez qu’elles ont une tenue de travail, mais que celle-ci n’est pas dédiée à un service, genre vert vomi pour l’urgence, bleu varice pour la chirurgie, rouge caillot pour les soins intensifs, jaune hépatite pour la pédiatrie, rose intoxication au monoxyde de carbone pour l’obstétrique et blanc arrêt  cardiaque pour les autres. Elles achètent leur uniforme chez S*ars ou chez Walm*rt, il y en a des mauves unis ou des verts bariolés, à motif de fleurs ou de Snoopy, aux genoux, à mi-jambes ou au chevilles et même des brodés façon dentelle anglaise. La classe.

Les docteurs sont en civil. Quand j’ai dit qu’en France j’avais une blouse, ça a bien fait rire mes collègues résidentes : il n’y a que les bébés étudiants en médecine de Montréal qui portent un sarrau... Forcément.

Les docteurs portent leur stéthoscope autour du cou. Quand j’ai dit qu’en France, il n’y avait que les externes qui se prenaient très au sérieux (ou qui avaient trop regardé Urgences, Scrub ou Grey’s Anatomy, dépendant de leur âge) qui le portaient de cette manière, ça les a fait hurler de rire : ben tu en faisais quoi alors ? Ben je le mettais dans la poche dans ma blouse ainsi que trente kilos de bordel qu’une quantité non négligeable de stylos, petits bouts de papier, marteau, lampe, bip et autres gadgets… Forcément.

Mais pour les gardes à l’urgence, les docteurs ont une tenue bleu cyanose marine.  Il en existe même en taille naine XS! J’en aurai pleuré de joie.

Voyez-vous, après avoir durant toutes mes études en France trébuché dans les ourlets de mes casaques en chirurgie, paru même pas enceinte au début de mon neuvième mois de grossesse dans mes blouses d’urgence, roulé sept fois les jambes de mes pantalons de soins intensifs, avoir eu l’air d’avoir piqué la parka de David Douillet dans mon blouson au Samu… une simple tenue à ma taille, ça m’émeut.

Après avoir enfilé une tenue et séché mes larmes, je quitte l’Unité de Médecine Familiale et me rends à l’urgence par les couloirs du sous-sol. Je négocie le passage devant la cafétéria en apnée. Les odeurs de cuisine communautaire de si bon matin, composées de délicates émanations de graillon dix ans d’âge, doux remugles de matières organiques en état de décomposition avancée, subtils effluves de détergent hyper-caustique, en plus de me coller une nausée tenace d’au moins 4h, m’invitent à une réflexion de haut niveau. Pourquoi la pitance d’hôpital est-elle aussi nauséabonde ? Et surtout, pourquoi à midi, ça sent raisonnablement bon ? Si quelqu’un a la réponse, ça m’intéresse vraiment, car franchement, ce n’est pas plus mauvais et même plutôt meilleur que les hôpitaux franciliens que j’ai fréquentés dans mon jeune temps.

Un peu tendue j’arrive à l’urgence. Ça ne ressemble pas du tout au Cook County. George Clooney brille par son absence et surtout les locaux d’Alma sont vétustissimes. Je ne suis même pas certaine qu’il n’y ait pas un peu d’amiante qui traîne encore quelque part. Depuis dix ans on leur promet des rénovations, depuis dix ans elles sont reportées à l’année suivante. Il y a quatre salles pour voir les patients, une salle dite de traitement, plus adaptée à la petite chirurgie et aux urgences ophtalmologiques : avec toutes les industries environnantes, il vaut mieux savoir se servir de la lampe à fente. Il y une salle de réanimation équipée pour deux patients instables et en arrière, douze civières qui accueillent les malades couchés qui vont être hospitalisés.

C’est parti… Douleurs rétrosternales, douleurs abdominales, dyspnées, détériorations de l’état général, accidents de la route, plaies, corps étrangers oculaires, idéation suicidaire, traumatismes de cheville, bronchiolites et feux sauvages (ça veut dire herpès en québécois, poétique, non ?) sont pain quotidien. Je vois les patients et je révise les dossiers avec le superviseur. Il y a un seul docteur par tranche de huit heures. Ce qui signifie que les quarts sont vite passés… mais qu’ils reviennent souvent.

Les patients arrivent par leurs propres moyens, ou via les ambulances, plus ou moins escortés par la police. Pas de Samu. J’adore. J’expliquerai un autre jour ma théorie à propos du Samu. Disons simplement que pour une obsessionnelle comme moi, et hors pathologies typiques à traiter urgemment c’est extrêmement anxiogène de passer après quelqu’un qui a déjà interrogé, examiné, diagnostiqué voire pronostiqué et vous a fait part de son idée et donc forcément influencé. Mais ça n’engage que moi mais tu sais bien ma copine que je t’aime quand même.

L’équipe infirmière est efficace, chacun connaît son rôle, ça roule plutôt bien. Pas besoin de supplier menacer négocier pour que le patient ait son prélèvement sanguin ou un électrocardiogramme rapidement genre si tu veux ton gaz du sang t’as qu’à le faire toi même et le porter toi même au labo à trois étages d’ici parce que moi je suis en pause et de toute façon je suis énervée parce que ma cadre ne m’a pas donné les congés que je voulais et je suis là seulement parce qu’une telle a son fils qu’est encore malade donc c’est comme si j’étais pas là. Je caricature mais pas tant que ça.

Autre source d’extase cosmique, la radiologie. Pas besoin de supplier menacer se prostituer négocier pour obtenir un scanner. Je remplis un bon et il sera fait dans le quart d’heure. C’est comme les tenues à ma taille, j’en pleurerais.

De la même façon, le spécialiste, le chirurgien le plus souvent, vient quand on l’appelle pour un avis. En grognant, en traînant les pieds, sans adresser la parole à qui que ce soit mais vient quand même. Ben oui, il ne faudrait pas croire qu’on est à l’hôpital des Bisounours !

En résumé, qu’elles soient françaises ou québécoises, je savoure les urgences : ça vous a un petit côté speed-dating de la médecine qui rompt agréablement avec la languissante monotonie des consultations sur rendez-vous. Que celui qui n’a jamais pensé voire gémi oh non pas lui en voyant un nom sur une liste de rendez-vous me jette la première pierre. Je vous rassure, j’aime bien revoir mes patients pour la plupart d’entre-eux.

En parlant de rencontre, j’en ai fait une belle ! Je remplissais un dossier lorsqu’un fringant quinquagénaire a surgi de la salle des patients couchés, main tendue.
_ Bonjour, je ne vous connais pas, vous êtes qui ?
_ Bonjour, Docteur médecin de famille français en stage.
_ Bonjour, Yves Bolduc, ministre de la Santé.
_... yeux ronds bouche ouverte
_ Française, hein ? ça me fait penser que j’ai vu votre ministre, là, comment il s’appelle déjà, euh, Xavier…
_ Heu… honte sur moi, j’ai eu un gros trou de mémoire, j’avais oublié que la Roselotte Tarquin OnvatousmourirdelagrippA avait été transférée à la Solidarité et la Cohésion sociale Bertrand ?
_ Ouais c’est ça, Bertrand, je l’ai rencontré récemment à Amsterdam, il a l’air un peu mou, non ?
_ …rrmmppffrrt… non je ne vais pas rire, non je ne rirai pas, trop tard j’ai ri
_ Pas vraiment prêt pour les réformes on dirait ? Et quand j’ai fait un peu le point sur la France, grand pays soi-dit en passant, mais ils ont au moins dix ans de retard sur nous en ce qui concerne l’organisation des soins, j’en suis encore tout étonné !
_... c’est exactement ce que je pense mais est-ce que si je le dis ça va faire lèche-botte ?
_ En tous les cas bienvenue au Québec.

Non, vraiment, j’adore les urgences !